Les Produits Chimiques

 

 

Le salon était très élégant et meublé avec un goût exquis. Ils s’assirent tous dans de très beaux fauteuils placés en rond, mais Cameron alla s’allonger sur un canapé dans un coin.

Un excellent feu brûlait dans la cheminée. La pièce était chaude et confortable, très différente de la cuisine, et tous se souvenaient du sujet de la conversation.

— Où est votre père ? demanda Greer.

— Il a disparu dans les cavernes de glace, répondit Miss Hawkline. Il a voulu descendre pour trouver le monstre. Il n’est pas remonté. Nous pensons que le monstre l’a eu.

— Et que venons-nous faire dans cette histoire ? demanda Greer. Pourquoi n’avez-vous pas demandé au marshal de venir faire une enquête ? Il a l’air très bien, et il s’intéresse beaucoup à l’une de vous.

— Il y a trop de choses à expliquer, et nous sommes certaines de la mort de notre père. Le monstre l’a tué, dit Miss Hawkline.

Allongé sur son canapé, Cameron écoutait attentivement. Ses yeux gris semblaient presque métalliques.

— Nous avions pour mission d’achever l’expérience de notre père sur les Produits Chimiques, dit l’autre Miss Hawkline. Il nous avait dit que, s’il lui arrivait quelque chose, il faudrait terminer cette expérience sur les Produits Chimiques. C’était sa dernière invention importante et nous suivons ses instructions.

— L’idée que notre père puisse avoir gâché sa vie nous est insupportable, dit Miss Hawkline. Les Produits Chimiques représentaient tout pour lui. Nous estimons de notre devoir d’achever ce qu’il a entrepris. C’est pour cela que nous ne sommes pas allées chercher le marshal. Nous ne voulons pas que les gens sachent ce que nous faisons ici. Et voilà pourquoi nous voulons que vous nous aidiez. Nous n’arrivons pas à nous concentrer complètement sur les Produits Chimiques tant que le monstre est vivant. Il est insupportable de le savoir là en dessous, sans cesse essayant de s’échapper des cavernes de glace pour nous tuer. Alors si vous le tuez, tout deviendra beaucoup plus simple.

— Que s’est-il passé dans la cuisine ? demanda Cameron. Pourquoi notre conversation était-elle si étrange ? Pourquoi ne cessions-nous pas d’oublier le sujet de notre conversation ? Cela vous est-il déjà arrivé ?

Il y eut un petit silence tandis que les demoiselles Hawkline se regardaient. Puis l’une d’elles dit :

— Oui, il se passe beaucoup de choses étranges depuis que notre père fit passer un courant électrique dans les Produits Chimiques après y avoir ajouté quelques nouveaux, éléments. Nous avons tenté de rétablir l’équilibre des Produits Chimiques, et d’achever l’expérience. Nous suivons maintenant les notes laissées par notre père derrière lui.

— J’aime bien la façon dont vous dites derrière lui, dit Greer. Derrière lui signifiant qu’un bon dieu de monstre l’a bouffé dans la cave.

— Pas dans la cave, dans les cavernes de glace ! dit Miss Hawkline. Le laboratoire est au sous-sol !

Cameron regarda les demoiselles Hawkline. Tout le monde s’arrêta de parler, car visiblement Cameron allait dire quelque chose.

— La disparition de votre père ne semble pas vous avoir fait beaucoup de peine, dit finalement Cameron. Je veux dire, vous n’êtes pas précisément en deuil.

— Notre père nous a élevées d’une façon particulière. Notre mère est morte depuis très longtemps. La douleur n’a guère de place dans notre vie. Nous aimions beaucoup notre père, et c’est pour cela que nous voulons achever son expérience sur les Produits Chimiques.

Elle commençait à être agacée. Elle voulait qu’on s’attaque vite au monstre et qu’on abrège toutes ces conversations superflues : à propos de douleur par exemple.

— Parlez-nous encore de ce qui s’est passé dans la cuisine, dit Cameron.

— Il nous arrive souvent des choses bizarres, dit l’autre Miss Hawkline. Des événements étranges ont lieu fréquemment. Ils se reproduisent très rarement : et par conséquent on ne peut jamais prévoir ce qui se passera une autre fois.

— Un jour, nous avons trouvé des plumes vertes dans toutes nos chaussures, dit Miss Hawkline. Une autre fois, nous étions assises dans un salon et bavardions de choses et d’autres lorsque soudain nous nous sommes retrouvées toutes nues. Nos vêtements s’étaient volatilisées. Et nous ne les avons jamais retrouvés.

— Oui, dit l’autre Miss Hawkline. Je me suis foutue dans une colère noire. J’aimais beaucoup cette robe. Je l’avais achetée à New York. Elle était ma préférée.

Greer et Cameron n’avaient jamais entendu une personne aussi élégante utiliser le verbe foutre auparavant. Mais ils ne tarderaient pas à s’y habituer, car le langage des demoiselles Hawkline était plutôt vert. Elles le tenaient de leur père, qui était légendaire à Harvard pour avoir toujours utilisé un langage très libre. Bref, revenons à notre histoire…

— Arrive-t-il parfois des trucs graves ? demanda Cameron.

— Non. Ils ressemblent plutôt à des farces de gamin. Seulement dans le cas présent le gamin aurait des pouvoirs surnaturels.

— Ça veut dire quoi, surnaturel ? demanda Cameron.

Les demoiselles Hawkline échangèrent un regard. Cameron n’apprécia pas beaucoup ce regard. Bon dieu, elles n’avaient qu’à lui expliquer ce qu’elles avaient voulu dire – ça n’avait rien de bien compliqué.

— Cela signifie : pas ordinaire, dit Miss Hawkline.

— Bien content de le savoir, répondit-il peu aimablement.

— Vous ne craignez pas que ces produits chimiques ne deviennent dangereux ? poursuivit Greer dans le but de rendre le ton plus aimable.

Les demoiselles Hawkline furent bien soulagées. Elles n’avaient pas voulu faire de peine à Cameron avec ce mot surnaturel. Elles comprenaient bien qu’elles n’auraient pas dû se regarder comme cela, et elles le regrettaient sincèrement.

— Les farces ne sont jamais bien méchantes, dit Miss Hawkline.

Elle allait dire malveillantes, mais se retint.

— Mais elles peuvent être très ennuyeuses, ainsi justement quand ma robe préférée disparut me laissant toute nue.

— Et ces produits chimiques, quand ils seront terminés, à quoi serviront-ils, demanda Greer. C’est le même truc qui a bouffé le chien ?

— Nous ne savons pas à quoi ils devront servir, répondit Miss Hawkline. Notre père nous a dit que, lorsque les Produits Chimiques seraient prêts, le problème fondamental de l’humanité serait résolu.

— Et c’est quoi ce problème ? demanda Cameron.

— Il ne nous l’a pas dit, répondit Miss Hawkline.

Le monstre des Hawkline
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